22-06-2004
SCRS
L'ex-chef savait que les États-Unis extradaient des suspects
Presse Canadienne
Ottawa
L'ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité a admis qu'il était au courant de la pratique controversée des Américains consistant à envoyer des suspects d'actes terroristes à l'étranger, pour interrogatoire.
Ward Elcock, qui vient de prendre sa retraite du SCRS, a dit à l'enquête sur l'arrestation et l'extradition de Maher Arar qu'il savait, dès mars 2002, que les États-Unis déportaient des suspects vers l'Egypte et la Jordanie.
Aujourd'hui conseiller auprès du Bureau du conseil privé, M. Elcock a reconnu mardi avoir eu vent des allégations selon lesquelles les Américains contournaient les procédures d'extradition et les formalités juridiques pour expédier des prisonniers outre-mer. Mais son témoignage n'a pas permis d'éclaircir s'il avait été mis au courant de manière indépendante, ou s'il avait glané l'information à partir de dépêches de journaux.
La réponse à cette question pourrait s'avérer révélatrice, au moment où l'enquête cherche à faire la lumière sur les raisons pour lesquelles M. Arar, un citoyen canadien, résidant d'Ottawa, a été détenu par les autorités américaines au cours d'une escale à New York, en septembre 2002, à son retour de vacances en Tunisie.
Moins de deux semaines plus tard, après avoir été interrogé sur de présumés liens avec le réseau al-Qaeda, M. Arar, qui est âgé de 34 ans, était emmené, par avion, en Jordanie, puis transféré en Syrie dans une prison sinistre. Cet ingénieur en télécommunications, qui nie avoir quoi que ce soit à faire avec le terrorisme, soutient avoir été battu et torturé pour l'inciter à faire des aveux, avant d'être libéré l'automne dernier.
M. Arar et ses avocats disent que des agents du SCRS se sont rendus en Syrie à la fin de 2002, peu de temps après son incarcération.
Certains croient que M. Arar a fait l'objet d'une présumée procédure spéciale des États-Unis, consistant à envoyer un suspect de terrorisme vers un pays, comme la Syrie, connu pour recourir à des méthodes brutales d'interrogatoire.
Le gouvernement fédéral a chargé le juge Dennis O'Connor d'établir quel rôle les autorités canadiennes ont joué dans l'affaire Arar.
En décembre dernier, le ministre canadien des Affaires étrangères, Bill Graham, avait dit avoir été informé par le secrétaire d'État américain, Colin Powell, que le SCRS et la Gendarmerie royale du Canada avaient fourni aux Américains des informations au sujet de M. Arar.
Devant ce qui ressemble à du partage d'informations par les services de renseignement, l'avocat de M. Arar, Lorne Waldman, a évoqué l'aveu de M. Elcock selon lequel il était au courant de la pratique des États-Unis d'envoyer des prisonniers à l'étranger. Cela a «de très graves implications pour M. Arar, a-t-il commenté. Nous devons nous demander jusqu'à quel point nous devrions partager de l'information avec des pays qui ne respectent pas le droit international», a fait valoir l'avocat mardi, au cours d'une pause à l'audience.
La veille, M. Elcock avait révélé à l'audience que le SCRS entretient des relations avec des services d'espionnage étrangers soupçonnés de pratiquer la torture. Il a ajouté que l'agence fédérale pourrait même partager des informations avec ces services, mais qu'elle userait alors de prudence dans le choix des informations transmises.
Il a invoqué la protection de la sécurité nationale pour refuser de dire si le SCRS avait partagé des renseignements avec la Syrie. Cette question reviendra probablement lors des audiences qui seront tenues à huis clos.