Un réseau Al-Canada?

Passer à travers les mailles du filet des forces policières canadiennes est un jeu d’enfant pour les terroristes d’Al-Qaida, raconte un journaliste dans un livre à paraître.

Le Canada, havre pour les terroristes? La chose semblait inimaginable jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, qui ont permis de découvrir que le pays a servi de porte d’entrée en Amérique, sinon de base d’opérations, à des terroristes internationaux. Dans son livre Terreur froide: La filière canadienne du terrorisme international (traduit de l’anglais, Éditions de l’Homme, en librairie le 20 octobre), le journaliste canadien Stewart Bell fouille les origines du réseau canadien lié à al-Qaida. Il fait également état des ratés des différentes instances canadiennes à ce chapitre — la GRC a d’ailleurs reconnu, dernièrement, ses errements dans le dossier de Maher Arar. Dans l’extrait qui suit, le journaliste trace le portrait d’Ahmed Ressam, qui avait préparé à partir de Montréal et de Vancouver l’attentat avorté du 31 décembre 1999, à l’aéroport de Los Angeles.

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Premier-né d’un vétéran de la guerre indépendantiste algérienne, Ahmed Ressam a passé son enfance dans un quartier pauvre de Bou Ismaël, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest d’Alger. Le seul espoir qu’avaient les jeunes du quartier de se sortir de leur misère était d’émigrer. Un graffiti tracé sur les murs de l’édifice où Ressam a grandi désigne en un mot le siège de cet espoir: «Canada».

Belkacem Ressam, le père d’Ahmed, était un musulman pratiquant qui priait cinq fois par jour. Sa mère et sa sœur portaient le hijab. Ahmed allait à l’école et aimait jouer au soccer dans la rue avec ses quatre frères. Ses parents espéraient qu’il remplirait les conditions requises pour l’éducation universitaire gratuite, mais un ulcère l’a empêché de fréquenter l’école pendant de longues périodes durant son enfance. Échouant aux tests d’admission à l’université, Ahmed a dû se résigner à travailler comme serveur dans le café de son père. Quand le mouvement islamiste algérien a commencé à recruter des volontaires pour le Jihad à Bou Ismaël, Ressam ne s’est tout d’abord pas intéressé à la chose. À cette époque, il préférait la frénésie des boîtes de nuit à l’austérité de l’islamisme radical. Puis, un jour, il décida de suivre la voie que ce graffiti qu’il voyait depuis plusieurs années lui avait indiquée: il émigrerait au Canada. Dans un premier temps, il prit un bateau pour la Corse. Il restera un temps sur l’île, travaillant à la cueillette de raisins et d’oranges, mais aussi comme peintre dans un centre de villégiature. Identifié comme immigrant illégal par la police corse et menacé de déportation, Ressam a acheté un passeport français au nom de Tahar Medjadi et a pris l’avion pour Montréal.

À son arrivée à l’aéroport de Mirabel, le 20 février 1994, il fut immédiatement contrôlé par un officier d’immigration qui entretenait certains doutes quant à la validité de son passeport. Après avoir avoué son vrai nom à l’officier, Ressam a réclamé le statut de réfugié. Dans sa demande, il prétend qu’il a été emprisonné en Algérie pour trafic d’armes et association avec des terroristes, ce qui est faux. Ce genre de révélations aurait dû mettre les gens d’Immigration Canada en état d’alerte, mais ce ne fut pas le cas. Ressam fut promptement relâché. Ce sera la première erreur du gouvernement dans le dossier Ressam… mais non la dernière.

Après avoir logé un temps au YMCA de Montréal, Ressam a emménagé avec des compatriotes algériens — Moustapha Labsi, Adel Boumezbeur et Karim Atmani, l’adjoint de Fateh Kamel [soupçonné d’avoir été une des têtes dirigeantes d’un groupe terroriste montréalais proche d’al-Qaida].

Vivant de l’aide sociale, Ressam arrondissait ses fins de mois en volant des passeports et en jouant les pickpockets. «Je dépouillais les touristes, avoua-t-il à un tribunal new-yorkais. J’allais dans les hôtels et, dès qu’ils avaient le dos tourné, je volais leurs bagages… Je gardais l’argent, vendais les passeports, et s’il y avait des cartes de crédit ou des chèques de voyage, je les vendais ou je les utilisais.»

Quand Ressam volait des pièces d’identité — des cartes d’assurance sociale, par exemple —, il les vendait à son ami Mokhtar Haouari. Ressam sera arrêté quatre fois, mais ne sera condamné qu’une seule fois. Sa peine: une amende. Il habitait depuis plus de quatre ans au Canada, or pendant tout ce temps il n’avait eu qu’un seul travail légitime, qui était de distribuer des prospectus. Il avait démissionné au bout d’une semaine.

Les vendredis, Ressam se rendait à une mosquée où des fervents du Jihad distribuaient des vidéos de recrutement. «Venez en Afghanistan, disait l’une des vidéos. Venez participer au Jihad. Si vous êtes de vrais croyants, Allah s’attend à ce que vous fassiez pour lui un effort supplémentaire.» Les agents du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité] connaissaient bien Ressam. «Nous l’avions à l’œil, mais c’était évident qu’il n’était pas un personnage important», disait un ancien officier du Service du renseignement. Mais tout ce temps que Ressam passait aux côtés de Kamel et des membres de sa cellule l’a fait songer à l’Afghanistan. «Quand mes amis revenaient de là, disait Ressam, ils me parlaient de ce qu’ils avaient appris, de leur entraînement; ils me parlaient aussi du Jihad et m’encourageaient à suivre leur exemple. Alors ça a commencé à m’intéresser.» Abderaouf Hannachi, moudjahid de Montréal entraîné en Afghanistan, a un jour contacté Abu Zubayda, recruteur de Peshawar travaillant pour Ben Laden, pour le prévenir de l’arrivée de Ressam. En mars 1998, Ahmed Ressam achetait un billet aller-retour pour Karachi via Francfort. Avant de partir, il s’est assuré qu’il pourrait revenir au Canada. À l’aide d’un certificat de baptême vierge qu’il avait subtilisé à la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Douleurs [dans l’arrondissement de Verdun, à Montréal], il s’est créé une nouvelle identité, puis il a fait une demande de passeport sous son nom d’emprunt, Benni Norris. Le Bureau des passeports ne fut que trop heureux de lui fournir le document en question.

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